Quand les alouettes se prennent le bec dans le miroir...
La Maison des Mandataires (Immobiliers) vient de publier sur les réseaux sociaux un article : « Mandataires, 5 arguments pour recruter en 2022 ».
" Alors que l’année 2022 est maintenant bien lancée, il nous a semblé utile de lister ci-dessous les 5 principaux arguments à utiliser en ce moment pour convaincre des membres de votre entourage de rejoindre votre équipe. A utiliser sans modération ! "
Décryptage !
Argument n° 1 : " Conseiller immobilier, un métier accessible qui fait du sens. "
Ce métier serait accessible « sans pré-requis de formation ou d’expérience ». D’un point de vue légal, et à la différence du métier d’agent immobilier, c’est vrai.
Il est d’ailleurs au passage intéressant de noter que les réseaux de mandataires, depuis la mise en place début 2019 du C.N.T.G.I. (Conseil National de la Transaction et de la Gestion Immobilières), ont cessé de présenter leurs agents commerciaux comme des « agents immobiliers », les sanctions pénales de cet abus, fixées par le Code de Déontologie, pouvant dès lors être diligentées. Ils les appellent maintenant "conseillers". N’empêche, tapez dans votre moteur de recherche « devenir agent immobilier », les annonces « payantes » de Google envoient vers… les réseaux de mandataires !
Ce métier « qui a du sens » est en effet une aventure humaine « et le rôle du conseiller immobilier est de faire en sorte que cette aventure soit la plus réussie possible ».
Soigner un cancer et peut-être en guérir est aussi une aventure humaine. Ceux qui y sont confrontés vont-ils s’adresser à leur garagiste ou leur boulanger ? Il faut être sérieux, quelques jours de formation et hop ! Vous voilà Conseiller Immobilier, apte à faire aboutir pour vos clients ce qui est souvent le projet de leur vie. Génial ! Un simple BTS Professions Immobilières c’est 2 ans à temps plein de formation en alternance, et pas encore suffisant pour s’affirmer « compétent » et en maîtrise de son métier.
Une vente (ou un achat) immobilière est complexe par son environnement, où seul un vrai professionnel va pouvoir aider à sécuriser la transaction et en déjouer les nombreux pièges (négociation, juridique, financier, urbanisme, diagnostics, copropriétés, etc).
Car c’est bien ce besoin de sécurité qui justifie les honoraires de l’intermédiaire. Ce même besoin de sécurité qui a vu ces dernières décennies la part des ventes « intermédiées » remplacer les ventes « entre particuliers ».
Argument n° 2 : " Le marché immobilier restera très dynamique. "
Le record de ventes de 2021 ne doit pas faire oublier que le marché de l’immobilier n’est pas un long fleuve tranquille !
L’activité d’un agent immobilier est faite de cycles (comme ses revenus).
Affirmer que le marché restera très dynamique, comme « les prix à un niveau élevé », ce qui « assurera automatiquement des commissions attractives » est une promesse qui n’engage que les gogos qui l’écoutent.
Argument n° 3 : " Il y a encore de la place pour des nouveaux entrants. "
S’il est incontestable que les réseaux de mandataires ont pris leur place sur le marché et voient leur part de marché augmenter chaque année, il ne faut pas oublier qu’ils n’existaient pas il y a 20 ans. Il en est recensé aujourd’hui 172 ! (source : meilleursreseaux.com).
Les taux de croissance annoncés pour aider au recrutement sont le résultat de cette explosion du nombre des réseaux (pas tous égaux comme on le verra plus loin) et des effectifs.
Mais alors, si « depuis 7 ans le nombre de transactions réalisées par ces réseaux a été multiplié par 5 ou 6 », et si jamais ça continue, tremblez agents immobiliers « vitrés » ! Dans moins de 10 ans vous n’existez plus…
Le plus fort suit avec les chiffres-clés donnés au candidat Conseiller Immobilier sur ce qu’il doit gagner :
« La commission moyenne étant de 10 000€, le total des commissions générées atteint donc 8,4 milliards d’euros. Ce gâteau se répartit entre les 100 000 conseillers immobiliers actuellement actifs en France, soit en moyenne 84 000€ de commissions par conseiller. »
Le critique : « Oui mais (et sans même remettre en cause les chiffres de base), ça c’est la commission brute perçue par l’agence, ou le réseau, pas ce qui va aller dans ta poche ! »
Le candidat : « J’avais pas compris çà… »
« Et encore, en prenant en compte les conseillers à mi-temps, les commissions moyennes dépassent certainement les 100 000€ pour les gens qui se consacrent à 100% à cette activité. »
Le candidat : « Waouh ! en plus je vais pouvoir bosser à mi-temps. Parce que même avec la moitié de çà, je vis bien. 🤩»
Le critique, sourire en coin : « Oui bien sûr, ils te l’ont dit : tu bosses quand tu veux et de chez toi. C’est pour ça qu’il y a autant de femmes dans les réseaux. Elles ont du temps pour s’occuper de leur vie de famille. 😁»
Le copain, négociateur professionnel : « Euh… 🤔»
Cependant la Maison des Mandataires a publié le 30 mars 2022 son baromètre 2021 et cette infographie :
Refaisons les comptes :
- 177.000 transactions pour 45.000 mandataires : soit 3,93 transactions par mandataire en 2021 (année record)
- si la commission moyenne était bien de 10.000 euros, cela ferait alors un chiffre d’affaires brut de 39.300 euros par mandataire…
Dans le rapport complet :
- chiffre d’affaires 2021 des réseaux : 1.340 M€, soit 29.777 euros par mandataire (dont les redevances encaissées des mandataires) ;
- A 70% de rémunération, cela ferait un revenu brut de 20.840 euros, avant charges sociales.
- de ce revenu, en toute rigueur, il faudra déduire la part représentée par les redevances versées au réseau par les mandataires...
Toujours dans ce rapport, ils n’hésitent pas à traduire « chiffre d’affaires » par « revenu » moyen par conseiller, lequel, comme le nombre de ventes moyen, est calculé avec une formule magique et ésotérique mêlant mi-temps, turn-over… il manquerait quand même l’âge des conseillers ! Et cela donne 35.500 € et 4,67 ventes...
En tout cas, les chiffres publiés se contredisent eux-mêmes et surtout, ils diffèrent « sensiblement » des promesses du recrutement.
Argument n° 4 : " Des réseaux qui ont les moyens de leurs ambitions."
« La plupart des réseaux de mandataires affichent de très belles performances en 2021 : chiffres d’affaires record, recrutement soutenu, bénéfices solides, etc. C’est un élément qu’il faut mettre en avant quand vous voulez attirer des talents dans votre équipe. »
Le business model créé par les ainés a gagné sa crédibilité, et démontré une forte rentabilité. Il attire fortement les investisseurs.
Par conséquent depuis une petite dizaine d’années le nombre de réseaux a explosé.
Dans le baromètre de la Maison des Mandataires, il est précisé que les 10 premiers réseaux occupent 81% du marché ! Et selon d’autres sources, les 3 premiers occupent 50% du marché.
Pas de doutes quant à la solidité financière et les performances de ces 10 grands réseaux.
Pour les 162 autres (dont la plupart ne rendent pas publics leurs bilans), qu’en est-il ? Ils doivent se partager les 19% restant d’un gâteau qui entier représente 22% des ventes intermédiées (2/3 des ventes globales), soit net 2,7% du marché global.
Argument n° 5 : " Argument spécial pour nos amis dans les agences : un partage de valeur plus juste ! "
« L’argent ne fait pas tout mais c’est un argument dont on aurait tort de se passer, surtout vis-à-vis de nos amis qui travaillent en agence vitrée en tant que négociateur salarié ou agent commercial. »
On aurait surtout tort d’hésiter à tenter de débaucher les négociateurs des agences ! 😡
« Grâce à leurs structures de coût plus légères, les réseaux de mandataires parviennent à reverser la grande majorité des commissions à leurs conseillers. Sans rentrer dans les détails, tous les réseaux proposent des rétributions qui vont de 70% à 90% du montant HT des commissions générées. C’est beaucoup plus que dans les agences. » (NDR : entre 40% et 50%)
Si cet argument fait mouche auprès des candides ou candidats Conseillers novices, la plupart des « professionnels » ne sont pas dupes.
Ceux-ci ont été confrontés sur le terrain aux pratiques des mandataires par rapport aux commissions moins élevées qu’ils appliquent. Il faut bien justifier la légèreté des coûts de structure et l’absence « d’agence ».
Dans son observatoire, la Maison des Mandataires avoue une commission moyenne de 3,7%.
Sur ce même point, ils clament fièrement « restituer aux clients (acheteur ou vendeur) 1.000 euros de pouvoir d’achat par vente en étant 15% moins chers que les agences vitrées » !
Pourquoi pas ? Donc, cela veut dire que la commission moyenne d’une agence serait de 6.666 euros et celle d’un mandataire de 5.666 euros… on n’y comprend plus rien.
Certains conseillers d’agence peuvent être attirés par les réseaux pour davantage d’indépendance, la possibilité de créer leur équipe (c’est un système pyramidal), des raisons qui tiennent aux personnes, au manque de résultats, etc.
Pour la rémunération, sur le terrain les conseillers sont confrontés à des dumpings de commissions bien plus élevés que 15%, plutôt entre 30 et 50%.
Le pourcentage de reversement des honoraires ne veut rien dire si la base des honoraires n’est pas la même...
Et surtout il ne faut pas oublier les redevances à payer au réseau de mandataires pour pouvoir travailler sous le couvert d’une carte professionnelle. Celles-ci couvrent la formation initiale, la diffusion de quelques annonces, l’utilisation du logiciel, l’appui technique, etc.
Selon les réseaux et les prestations, ces redevances sont de 1500 à 4000 euros par an en moyenne.
Partage de la valeur plus juste ? Pour qui ? Admettons seulement de dire qu’il est différent, une agence ne faisant pas payer ses agents commerciaux pour exercer.
En conclusion :
Les réseaux de mandataires sont de formidables machines à recruter (10.000 conseillers en 2021). Et à décevoir.
Si leurs performances sont réelles en termes de pénétration et de parts de marché, les résultats commerciaux réels ne sont pas si brillants.
Toujours selon l’Observatoire, les mandataires représentent 40% de la force de production, et 22% du chiffre d’affaires « intermédié »… CQFD.
Ils annoncent un délai de vente moyen de 118 jours en 2020, quand il était de 90 jours pour Century 21.
Ainsi les résultats individuels de leurs conseillers (sauf les plus aguerris et en haut du système, pyramidal ne l’oublions pas) s’avèrent pour ceux-ci très différents des promesses des recruteurs. Tant au niveau des revenus que de la prétendue « qualité de vie » ou encore de la facilité du métier.
Ces déconvenues génèrent un très fort turn-over des conseillers, quelques mois en moyenne, pas vraiment l’objectif d’une reconversion (la cible principale des recruteurs, 81% des recrutés). L’effet pervers de la duperie du recrutement, et des arguments démontés et contredits par les réseaux eux-mêmes…